C’est l’histoire d’une colonie anarchiste au Brésil en 1855
Ça me rappelle bien notre situation
Sauf que eux sont morts de faim…
C'était pas ceux qui sont à l'origine des favelas ? Les soldats qui avaient été isolés et oubliés par l’armée dans les collines de Rio à la suite d’une guerre comme signe de non-reconnaissance de leurs combats. C’est un terrain propice à la création d’une communauté anarchiste et révolutionnaire..
C'est quoi le nom de cette colonie ?
Ça fait partie d’un bouquin de Patrik Ourednik: Instant propice
En 1855, un groupe d’anarchistes, communistes et idéalistes part de l’Europe pour fonder une colonie fraternelle au Brésil basée sur des principes égalitaires et autogérés.
Il y a eu beaucoup d’expériences de ce genre au 19eme
Basées par exemple sur les principes des Saint-Simoniens
Des groupes autonomes créaient leurs propres colonies, ils finançaient leurs voyages grâce à des souscriptions publiques. Ces sortes d’expérimentations sociales ont souvent mal terminé. Malgré leurs ambitions égalitariennes, ces colonies avaient souvent aussi une dimension colonialiste ce qui facilitait leur acceptation par les autorités. En gros, des Européens se réunissaient avec l'idée de fonder une communauté et le gouvernement colonial leur donnaiet des terres, en Afrique du Nord ou en Amérique du Sud. Terre qui évidemment avait été précédemment arrachée aux peuples colonisés
La colonisation n’est pas le sujet de cette discussion même si c’est malgré tout en toile de fond de nos réflexions. La correspondance entre les anarchistes colonialistes du 19eme siècle et notre tentative de créer un atelier autogéré en Tunisie est grinçante.
Tu penses que ça pourrait être ça notre angle d'attaque pour ce texte ?
Je trouve ça intéressant, surtout la question de l'idéalisme et de la responsabilité individuelle. Il y a un passage dans le livre de Partik Ourednik où il parle des conséquences terribles du manque d’attention des membres de la communauté face aux tâches quotidiennes. Un point de vue qui a une échelle moindre n'est pas sans rappeler nos propres discussions à l’atelier face aux petites choses qui rendent la vie en communauté quelquefois difficile. Mais bon contrairement à cet extrait, nous ne sommes pas dans une situation de vie ou de mort.
“Si les gens vinrent à souffrir de la faim, cela ne résulta pas de l’impossibilité d’organiser le transfert de vivres, mais des aberrations d’intendants autoproclamés. Si les gens manquèrent de pain, ce fut parce que personne ne répara le toit du grenier, endommagé par les averses. Si le bétail piétina les champs de haricots, ce fut parce que l’enclos n’avait pas été construit assez solidement. Et le manque de confiance fut la cause que les colons se laisserent gagner par l’indolence; certains se découragerent et contaminerent les autres, refusant les corvées d’eau et les travaux des champs. Un Parlementarisme stupide supplanta les principes anarchistes. Les colons adopterent le systeme absurde du referendum et gacherent leur temps en assemblées qui n’engendraient que promesses insesées et ambitions personelles. Puis ils dicterent aux autres leurs droits et leurs devoirs.. (...)”
Patrik Ourednik: Instant propice, 1855
Oula
C'est intéressant
Mais c'est dur un peu !
J'aime bien le côté micro société
Et ce qui en incombe mais je trouve ce passage un peu extrême
C'est un peu cliché mais
On pourrait parler des Castors ?
Pas l'animal
Le mouvement d'autoconstruction coopérative, qui est né en France au lendemain de la Seconde Guerre-Mondiale en réponse à la crise des logements.
Le parallèle pourrait peut-être avoir du sens ? Le fait que plusieurs individus se réunissent dans un premier temps humainement autour d’un projet (de taille !) à savoir eux-mêmes construire leurs logements à une époque où l’état était défaillant sur ces questions.
Après faudrait trouver des refs sur les notions de responsabilité
je ne connais pas
Il y a aussi beaucoup de choses intéressantes autour des squats, du droit à la ville et des manières plus "alternatives" d'occuper/d’habiter un territoire
Qui de facto crée des communautés et une forte responsabilisation de leurs membres. Car il y a une volonté de liberté en même temps de vivre ensemble.
Ce qui est intéressant là dedans c'est souvent une somme d'individus qui veulent tendre vers des objectifs de collectifs pour
1) répondre à leurs envies/besoins
2) pallier le désintérêt des pouvoirs publics
3) reconnaître d'autres modes de vivre (en pied de nez au dogme de la "norme")
4) se positionner contre les logiques de marchandisation omniprésentes dans les territoires urbains.
ça me fait penser à la “Torre David” à Caracas, au Venezuela. C’est de nouveau une question du droit au logement et du droit à la ville. Mais en gros, ce sont des centaines de familles qui ont commencé à occuper une grande tour destinée initialement pour des bureaux, mais dont les travaux ont été avortés par manque d’argent. La municipalité les a autorisé à investir les lieux, en reconnaissant leur droit d’occuper la tour et d’en faire un lieu de vie. C’était fascinant de voir que ces familles avaient reconstruits une ville dans la ville, au sein de cette tour à moitié finie. Et je me demandais comment pouvait fonctionner cette société, et comment étaient réparties les responsabilités (notamment de gardiennage et d’entretien des communs). La communauté de l’immeuble a créé un système d’organisation très cadré, contrairement à ce que certain.e.s pouvaient prétendre en l’accablant de “tour anarchiste de la terreur” (quand on pense anarchisme, on pense “absence de règles” ce qui est tout à fait discutable). Au final, l’accès aux différents étages était assuré par des services de moto taxi (les ascenceurs n’ayant pas été installés pour raisons financières) gérées par des habitant.e.s (moyennant échange d’argent ou de services). La surveillance de l’immeuble étant également assurée ceux.celles-ci et fonctionnait sur un système de roulement. Bien sûr, tous les membres de la communauté n’assuraient sûrement pas tous les niveaux de responsabilité. Mais c’est sûr que ces prises d'initiatives et d’actions au sein de la communauté ont participé au bon fonctionnement de celle-ci.
Tout ça c'est synonyme de luttes aussi, bien évidemment
Et il y a plusieurs échelles de luttes, comme un peu celles qu'on vit dans notre communauté Warcha
La reconnaissance de nos individualités au sein du groupe ; la reconnaissance de l'identité de ce groupe comme un ensemble hétérogène et dans le même temps avec des objectifs commun. cela s’inscrit aussi dans un lieu avec les tentions qui peuvent exister avec le voisinages qui ne voit pas toujours ces démarches d’un bonne oeil.
Quel est notre légitimité à agir dans un territoire et les limites de nos actions dans cette environnement ? (les dynamiques du quartier autant tremplin/sources d'inspiration à nos actions mais aussi parfois des freins)
Et tout ça
ça tient bien sûr à notre implication, notre volonté d'agir mais aussi d'être engagé.e.s
On ne peut pas prétendre à changer la société si déjà nous même au seis de notre petit collectif on n’arrive pas créer une synergie. Il y a un niveau d'expérimentation, de laisser faire et souvent des échecs mais il faut aussi que ça soit vertueux, que ça inspire nos voisin.e.s, notre entourage.
Tu as cité : les petites tâches du quotidien, au-delà de la qualité organisationnelle que ça peut représenter, ça a un impact fort au sein même de notre communauté (team warcha). Cela aussi impacte directement le reste : notre relation au voisinage, notre relation au quartier, l’image que le projet dans sa globalité véhicule. On ne se limite pas par exemple à nettoyer seulement nos propres déchets, généralement on étend ce nettoyage à autour de nous. On devient responsables d’éléments appartenants à un ensemble plus grand que nous et on doit au maximum assumer ces responsabilités. Sinon notre attitude pourrait éventuellement être perçue comme du profit, ou un désintérêt voire du snobisme envers ce qui nous entoure et ce à quoi on appartient.
On est responsables des externalités qu'on renvoie sur plein de plans
Bon je vais ptet un peu loin...
"Cities have the capability of providing something for everybody only because and only when they are created by everybody" a écrit Jane Jacobs
ça renvoie bien l’idée d’une critique du système étatique pyramidale (un pouvoir plus diffus et notamment accessible au peuple est revendiqué) mais aussi responsabilisation de chaque citoyen.ne. Je trouve que ça représente bien notre méthodologie de travail à El Warcha (même si ce n’est pas formalisée de la sorte) : si on imagine notre groupe, notre communauté comme une entité ou un ensemble semblable à celui d’une ville, dont nous serions nous-mêmes les décideurs.ses et les acteurs.rices, alors cet ensemble créé se responsabilise par lui-même et notamment par ses membres.
Pourquoi la recherche de modèles alternatifs de vivre ensemble interroge notre rapport à la responsabilité? Disons qu’on peut en parler du sujet à plusieurs échelles. Mais finalement on en revient souvent au fait que si l’on assume pas sa part de responsabilité, on perd aussi une partie de notre liberté, ou de notre voix.
En fait si on reste à l'échelle du Warcha en particulier ce qui est intéressant c'est comment on peut mettre en lumière ses spécificités
Si on dézoome ou qu'on se pose la question plus globale du politique et de la responsabilité face à l’état c’est peut-être moins intéressant.
A l’atelier j’ai tendance à penser que celui qui travaille ou qui est actif d’une manière ou d’une autre dans la vie de l’atelier, devrait pouvoir décider à part égale avec les autres de la manière dont il veut que l’atelier soit géré. On est souvent confronté à ce problème, quelqu'un qui donnerait son avis à une réunion mais qui n’est pas la pendant le reste de la semaine ou qui arrive plusieurs heures après tout le monde pour travailler. Comme on dit, les absents ont toujours tort, peu importe leur ancienneté, leur niveau de diplôme ou leur titre.
Et je crois que cette question là peut aussi révéler l'implication personnelle au service du collectif
Si tu choisis un mode de vie/travail autre que celui qui est communément imposé, ça peut vouloir dire plus de "libertés" (volonté de ne pas répondre à des injonctions formelles, je mets libertés entre parenthèses car bien sûr ces fameuses libertés sont souvent fantasmées et pas réelles) mais ça veut dire aussi beaucoup d'efforts qui sont déployés, beaucoup de prises de risques, ne pas être passifs et bien actifs, et être responsables non pas que de soi-même mais d'un ensemble de personnes.
Notre liberté est liée à notre indépendance ou interdépendance et donc à une certaine prise de responsabilités, mais quand la liberté repose sur le travail des autres cela devient une forme privilège. Si je n’assume pas certaines tâches alors quelqu'un d’autre les fera pour moi.
Ma sœur disait toujours quand j’étais ado:
“Tu veux changer le monde mais t’es pas capable de sortir les poubelles”
Ça résume bien tout le problème
Peut-on changer le monde et ne pas sortir les poubelles ?
Ahah
“Peut on changer le monde sans sortir les poubelles”
C'est bien ça comme titre
Oui, ça fera plaisir à ma sœur et à Valentina
Je t’avoue que c’est l’histoire de ma vie
Haha
Ahah
J'imagine que ça leur ferait plaisir !
Le seul truc c'est que ça, ça souligne aussi les différents degrés d'importance que chaque individu apporte aux choses. ça fait beaucoup de choses à aborder au sein d’un seul texte ahah...Toi tu considères peut-être que sortir les poubelles n’est pas une priorité pour le bon fonctionnement du collectif, car ça ne montre pas forcément pour toi une forme d'implication à prioriser
Et tu ressens pas les externalités négatives que ça représente quand tu le fais pas
(C'est un exemple hein je dis pas que c'est le cas)
Oui, Tu as raison
Vivre ensemble demande un certain niveau d'empathie
De mon côté, je voudrais peut-être que les poubelles soient sorties tous les jours, et toi admettons tous les 2 jours. Donc toi tu serais saoulé de devoir t’y atteler tous les jours, en pensant que ce n’est pas fondamentalement nécessaire et que laisser traîner cette tâche n’entrave en rien le bon fonctionnement du collectif. Et moi je serai irritée d'avoir l'impression de vivre dans une porcherie (exemple de nouveau je suis loin d'être une fée du logis), car à mon sens, cette tâche serait un maillon indéniable de la bonne organisation de notre communauté.
Et tout cela, ça peut mettre en avant les codes ou les cadres qu'on décide de mettre ou pas en place.
Et peut être une troisième personne ne sait même pas qu’il faut sortir les poubelles.
Laisser de la flexibilité et ne pas imposer de cadres ça peut a priori ne pas entraver les “libertés” de chacun.e et laisser une part de choix. Mais par la même occasion ça demande de prendre conscience de l’autre et de ses besoins
Par exemple à El Warcha on a très peu de cadres.
On a jamais écrit de manifeste (même si ça pourrait rester sur le plan très philosophique). On en a parlé des dizaines de fois, et au final on ne l’a jamais fait. Est-ce que c’est un acte délibéré ? Peut-être, car on aurait l’impression que fixer un cadre ou formaliser des manières de faire ou d’agir nous enfermerait dans un système trop rigide.
Du coup, on doit s'appuyer directement sur le bon sens et à la prise d’initiatives et de responsabilisation “naturelle” de chacun.e.
Après dans quelle mesure peut-on formaliser ces choses. La solution comme on le disait plus haut revient à favoriser l’empathie et donc pour chacun d’exprimer ses besoins, ses frustrations et d'être entendu par le reste du groupe.
L’expérience a montré que la communication est souvent très compliquée pour nous. Malgré toutes nos aspirations, notre petite famille a souvent du mal à se dire les choses et à s’écouter. On rencontre à ce niveau des conflits dont chacun fait l'expérience au quotidien au sein de sa propre famille.
comme tu disais, faut il seulement faire confiance à la sensibilité et à l'intelligence émotionnelle de chacun, ou doit on au contraire formaliser ces échanges et cadrer ces rapport afin d’assurer la pérennité du collectif?
Je viens d’avoir un coup de fil de Martin, mon collègue de El Warcha à Londres. Quand je lui est parlé de cette discussion et du fait qu’on avait du mal à conclure, il m’a raconté l’anecdote d’un jeune militant américain dans les années soixante, qui voulait aller écouter Farrell Dobbs. Farrell Dobbs est une figure de la lutte sociale de l'après guerre aux Etats-Unis. Le président des “Teamsters” l’un des syndicat américain les plus puissants. Le jeune militant arrive malheureusement trop tard alors que le débat est terminé, les centaines de spectateurs sont rentrés chez eux et il ne reste qu'une seul personne au milieu de la salle entrain de balayer. Il se rapproche de lui et lui dit avec déception qu’il était venu pour écouter Farell Dobbs. Il se rend compte au même moment que le balayeur anonyme n’est autre que Farell Dobbs. Une histoire romantique, un peu trop héroïque, sûrement de la propagande pour enrôler les jeunes syndicalistes mais qui colle bien avec notre passion du balai !